Introduction à PestiLens

PestiLens est un outil d’exploration des propriétés toxicologiques des pesticides utilisés en agriculture.

PestiLens est disponible ici :

https://www.terranautes.org/index.php/pestilens-pesticides-loupe/

Sources des données et méthode

Agritox

L’essentiel des données provient de la base Agritox publiée par l’Anses (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire) et accessible à tous sur la plateforme ouverte des données publiques françaises. La base de données Agritox liste environ 300 substances, et précise pour chacune d’entre elles les données toxicologiques suivantes :

  1. Le classement par danger conformément au règlement européen, y compris classement CMR (cancérigène, mutagène et reprotoxique, cf. ci-dessous);
  2. Les valeurs toxicologiques de référence pour la santé humaine. Ce sont des valeurs seuils qui témoignent de la toxicité d’une substance dans différents scénarios, ingestion, inhalation, travail, alimentation etc. Ces valeurs (ADI, ARfD, AOEL, AAOEL, cf. description Agritox) dérivent pour l’essentiel d’une dose limite déterminée par expérimentation animale, la NOAEL;
  3. Les seuils de toxicité aiguë;
  4. Les seuils écotoxicologiques pour différents types d’organismes.

Cette première version de PestiLens étant consacrée à la toxicité humaine liée aux expositions longues, seules les données 1 et 2 y sont exploitées; la NOAEL y joue un rôle central.

Compléments d’Agritox

Dans PestiLens les données d’Agritox sont complétées sur trois aspects : les substances manquantes, les NOAEL manquantes et le type de pesticide – herbicide, insecticide etc.

Les substances manquantes ont été ajoutées par nos soins à partir de la liste des substances autorisée en AB publiée par la Commission Européenne en 2021. C’est le cas par exemple du chlorydrate de chitosane, de la Prêle des champs (Equisetum arvense L.), du chlorure de sodium ou du lait de vache. Au total ce sont environ 40 substances qui viennent ainsi augmenter la base de données Agritox.

La base est aussi complétée lorsque certaines NOAEL absentes d’Agritox sont présentes dans la littérature scientifique ou réglementaire. L’origine des données et des NOAEL est indiquée par les notes qui apparaissent dans la première colonne. La référence vers l’étude scientifique ou la note réglementaire d’où est tirée la NOAEL complémentaire est indiquée par une note « réf »:

Source de la dose NOAEL

Enfin, les types des pesticides ont été extraits de la base de substances chimiques PubChem, ou quand nécessaire d’ephy, base de données de pesticides de l’ANSES, agence réglementaire française, ou en dernier recours dans les documents d’évaluation des pesticides de l’EFSA, agence réglementaire européenne.

Les acronymes

Quelques définitions sont indispensables pour bien exploiter cet outil.

Dose NOAEL

La valeur toxicologique représentée sur les graphiques de PestiLens est la dose sans effet néfaste (dite NOAEL pour No Observed Adverse Effect Level) relative à la toxicité subaiguë, chronique ou subchronique. Cette valeur résulte de l’exposition prolongée et répétée d’animaux, le plus souvent le rat, considérés par les toxicologues comme pertinents pour la santé humaine.

La NOAEL s’exprime en mg de substance par kg de poids corporel et par jour (mg/kg p.c./j). Une substance très toxique a une NOAEL faible, c’est-à-dire qu’il suffit d’être exposé à très peu de substance pour en subir les effets nocifs.

Dans PestiLens l’axe des NOAEL est orienté de telle manière que les faibles toxicités se trouvent à gauche :

Axe de toxicité de PestiLens

Par exemple la toxicité relativement faible du soufre (NOAEL à 1000 mg/kg p.c./j) se visualise par un curseur à gauche sur l’axe, alors que le bromuconazole (NOAEL à 0,88 mg/kg p.c./j), plus toxique, se place à droite :

Comparaison de le toxicité du soufre et du bromuconazole, deux pesticides agricoles.
Substances CMR

En plus de permettre de visualiser les NOAEL, l’outil s’intéresse plus particulièrement aux substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), dont les effets toxiques graves ne sont observés que très longtemps après l’exposition, y compris pour une exposition très faible cumulée dans le temps.

En raison des risques sanitaires qu’elles impliquent, les substances CMR font l’objet d’une réglementation spécifique. Ainsi, pour les substances CMR de catégorie 1A (avérées) ou 1B (présumées), la recherche de substitution est une obligation qui s’impose à l’employeur et prévaut sur toutes les autres mesures de réduction du risque, lorsque celui-ci n’a pu être supprimé. Pour plus d’information, voir notamment la fiche de l’Anses sur les agents CMR.

Dans PestiLens la classification CMR est accessible dans une colonne dédiée et le détail du niveau de preuve est donné en plaçant le curseur sur les éventuelles lettres C, M ou R.

Toxicité cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR) des pesticides
Survoler le classement CMR avec le curseur donne le détail de la classification

Les pictogrammes de danger

PestiLens affiche aussi les pictogrammes réglementaires de danger de chaque substance tels qu’ils doivent apparaître sur les emballages des produits. Ceux-ci, absents de la base de données Agritox, dérivent des mentions de danger qu’Agritox fournit sous la forme des codes Hxxx du classement CLP. Par exemple la mention de danger H319, dont la phrase associée est « provoque une sévère irritation des yeux », sera associée à ce pictogramme : .

La relation entre pictogramme et danger n’étant pas un pour un, PestiLens utilise la table de correspondance mise à disposition par l’Ineris pour déterminer quels pictogrammes afficher pour un code Hxxx donné.

Pour faciliter la visualisation des dangers associés réglementairement aux substances, les phrases de danger associées à un pictogramme s’affichent dès qu’on le survole avec la souris.

Phrases de danger des pesticides et leur classement CLP.
Exemple de codes Hxxx et phrases de danger réglementaires associés à une substance, ici la benfluraline 

Un outil en évolution – à vous de jouer

L’intention est de faire évoluer cet outil de visualisation des pesticides à usage agricole au fil des demandes, sans aucune garantie de délai compte tenu de la nature 100% bénévole de ce travail.

Vous êtes donc invité à nous faire part des améliorations que vous pensez utiles, des données qu’il faudrait ajouter et bien sûr (et hélas) des bugs à corriger… Vos commentaires sous cette page sont les bienvenus !


Améliorations proposées :

  1. Filtrer par usage – herbicide, fongicide, insecticides etc.
  2. Trier par NOAEL, trier par pictogrammes
  3. Améliorer l’échelle de couleur
  4. Utiliser la couleur de l’axe NOAEL en fond.
  5. Améliorer le rendu sur smartphone.

Le lymphome non hodgkinien est-il un cancer rare ?

Avec une incidence de 41 pour 100 000, le cancer non hodgkinien est en France un cancer relativement fréquent chez les hommes comme chez les femmes.


On lit souvent sur les réseaux sociaux et parfois dans la presse que le lymphome non hodgkinien (LNH) est un cancer rare, voire très rare. C’est l’occasion d’une petite mise au point à partir des données des registres du cancer du réseau Francim compilées par les Hospices Civils de Lyon, Santé publique France et l’Institut National du Cancer.

Un cancer « extrêmement rare »

On trouve sur Twitter un nombre conséquent de tweets qui s’appuient sur l’affirmation que le LNH est un cancer rare pour mener leur raisonnement.

Petit florilège :

Quelques tweets qui laissent penser que le lymphome non hodgkinien est rare ou rarissime.

A la décharge de ces twittos, l’idée que le LNH est un cancer rare ou très rare est tellement commune qu’elle touche aussi ceux qui voudraient alerter sur les produits qui la favorisent, réduisant considérablement l’intérêt même de l’alerte.

Ainsi Le Monde affirme qu’il s’agit d’une « forme rare de cancer du sang » dès le premier paragraphe d’un article rendant compte d’une méta-analyse sur l’association glyphosate / LNH :

« C’est le dernier épisode en date du feuilleton scientifique sur le glyphosate. Selon une nouvelle étude publiée la semaine dernière, le risque de développer un lymphome non hodgkinien (LNH), une forme rare de cancer du sang, est accru de 41 % pour les travailleurs les plus exposés. Inventé par Monsanto, l’herbicide vendu sous le nom commercial de Roundup est aujourd’hui le plus utilisé au monde. »

Le Monde : Glyphosate : une étude montre une nette augmentation du risque de lymphome

L’Opinion, dans un article qui assimile les études scientifiques sur les risques du glyphosate à un combat politique ou idéologique et omet de signaler les risques pour la santé des agriculteurs, force le trait et qualifie cette fois le lymphome non hodgkinien de « rarissime » :

Les cohortes d’agriculteurs étudiés par la Mutualité sociale agricole (Agrican sur 180 000 personnes) et AHS (50 000 agriculteurs sur vingt ans, aux Etats-Unis) ne montrent pas de risques accrus de cancers chez ceux qui sont pourtant exposés au glyphosate au premier rang, sauf sur une forme rarissime de lymphome.

L’Opinion : Glyphosate: radiographie d’une intoxication collective

28 000 nouveaux cas en France en 2018

En réalité, le LNH est en France le 4ème cancer par nombre de cas pour les femmes comme pour les hommes1 2. Pour les femmes, seuls les cancers du sein, du côlon et du poumon sont plus fréquents que le LNH. Pour les hommes, seuls les cancers de la prostate, du poumon et du côlon précèdent le LNH.


Nombre de cas de cancers estimés en 2018 à partir des registres du cancer, en France, classé par nombre de cas. Les intervalles de confiance sont disponibles dans la référence 1.
* Les cas de cancer de la prostate sont ceux de 2015.

Le lymphome non hodgkinien se situe donc, malheureusement, dans le quarté de tête des cancers incidents en France dans la population générale. A noter que l’impact du tabac sur le cancer du poumon est tel que pour une population qui n’a jamais fumé3, le LNH devient le cancer n°3.

Loin d’une forme « rare » ou « rarissime » de cancer, le LNH et ses 27 647 cas estimés en France en 2018 fait donc partie des cancers communs, avec une incidence nettement supérieure à celle, par exemple, du mélanome de la peau ou du cancer du col de l’utérus. Pour les femmes notamment son incidence est proche de celle du cancer du poumon, avec respectivement 12 109 et 15 132 cas estimés.

De plus son incidence est en progression. Corrigée du vieillissement de la population, elle connaît en effet une augmentation de 33% entre 1990 et 2018. Certains y verront un espoir : la possibilité de retourner à l’incidence beaucoup plus faible des années pré-1990, sous réserve bien sûr d’identifier les causes de la croissance de ce cancer du sang puis de légiférer en conséquence.

Évolution du TSM (taux d’incidence normalisé monde) du LNH entre 1990 et 2018 (ref. 1, p. 159). Le TSM représente l’incidence qu’aurait la maladie en France si la distribution des âges en France était semblable à la distribution des âges dans le monde.

Sources de confusion

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’existence de l’idée selon laquelle le LNH serait un cancer rare. D’abord l’incidence de cette maladie est rapportée sur internet d’une façon incomplète et inconsistante. Googlez « lymphome non hodgkinien incidence France » et vous trouverez un festival de chiffres, tous différents.

Cancer-environnement.fr rapporte une incidence de 13 pour 100 000 sans préciser sa nature – s’agit-il d’incidence brute ou standardisée ? On apprend aussi plus loin dans ce document que ce résultat date de plus de dix ans (2008), bien dommage pour une maladie en évolution rapide. L’association France Lymphomes Espoir présente les mêmes statistiques de 2008 sur sa page d’accueil, même si d’autres chiffres plus récents apparaissent plus profondément dans l’arborescence de ce site.

Toujours en résultat de cette même requête Google, un document de l’Inserm fait état de 12 000 nouveaux cas par an en 2011 et d’une incidence standardisée mondiale de 12,1. Plus loin, e-cancer.fr cite bien la dernière estimation disponible, celle de 2018, mais le nombre de nouveaux cas cité, « un peu moins de 22 000 », ne correspond pas au rapport détaillé issue du réseau Francim (environ 28 000 cas). Enfin ligue-cancer.net indique des statistiques de 2011 qui distingue myélomes multiples et LNH alors que la synthèse Santé publique France / HCL / INCa / Francim déjà citée les regroupe sous l’étiquette LNH, conformément à la classification utilisée dans les études d’épidémiologie.

Et la liste pourrait continuer. Admettons donc qu’il est difficile de s’y retrouver dans cette abondance de chiffres qui regroupent différentes maladies évaluées pour différentes années.

Un standard qui minore

Taux brut ou taux standardisé ? Taux standardisé Europe ou Monde ? Une autre source de confusion possible est la multiplicité des taux d’incidences. Le plus commun est sans doute le taux standardisé, qui prend en compte la structure en âge de la population à des fins de comparaison dans le temps ou entre populations. Ainsi le taux standardisé Monde (TSM) du LNH représente l’incidence qu’aurait la maladie en France si la distribution des âges en France était semblable à la distribution des âges dans le monde. Très utilisé par les épidémiologistes pour détecter tendances et différences, le TSM, en rabotant le haut de la pyramide des âges française pour s’aligner sur la population mondiale, déprécie considérablement l’importance des maladies qui surviennent aux âges élevés. C’est justement le cas du LNH, dont l’âge médian de survenue est d’environ 65 ans.

De fait, le taux à utiliser pour avoir une idée juste du nombre de personnes malades chaque année en France ou pour estimer le risque pour que nous ou nos parents soient atteints par un LNH n’est pas le taux standardisé mais le taux brut.

Celui-ci est très simple à calculer puisqu’il suffit de rapporter le nombre de cas à la population. Pour le LNH, nombre de cas / population =
27 647 / 66 990 000, soit une incidence brute du LNH d’environ 41 sur 100 000, très supérieure aux TSM mentionnés plus haut (25,5 homme; 16,1 femme).

LNH versus LNH

Enfin, même si tous les LNH ont en commun d’être des cancers du système immunitaire, la catégorie « LNH » utilisée dans les études épidémiologiques regroupe des pathologies qui peuvent être dans d’autres contextes décomptées séparément. Ainsi les myélomes multiples, environ 20% des LNH, sont souvent étudiés indépendamment des lymphomes. Difficile donc de s’y retrouver dans ces différents « LNH » : peut-être que les tweets qui mentionnent des incidences quatre fois trop faibles (10 ou 12 / 100 000 au lieu de 41) s’y sont perdu ?

Peut-être, mais si aucune de ces possibilités de confusion ne s’applique, et puisque ces tweets font référence à une des études sur le lien entre exposition professionnelle au glyphosate et cancers 4 5 6 qui toutes s’appuient sur la définition épidémiologique du LNH7, il faudra chercher ailleurs l’intérêt qu’il peut y avoir à minimiser la cancérogénicité du glyphosate.